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LA REPRÉSENTATION DES FEMMES DANS LES MANUELS SCOLAIRES

dimanche 28 octobre 2007, par philzard

Cet exposé a donné lieu à une intervention de Mix-Cité à l’IUFM de Créteil, devant des enseignant-e-s du secondaire. Elle s’inscrivait dans le cadre d’un stage de formation sur les discriminations.

Des travaux de chercheurs et de chercheuses en sociologie de l’éducation, comme ceux de Nicole Mosconi ou de Marie Duru-Bellat (mais aussi Claude Zaidman), ont souligné le rôle joué par l’école dans l’apprentissage par les filles de la place secondaire qui leur est malheureusement encore dévolue dans la société. Cet apprentissage se fait de manière indirecte et inconsciente, notamment par les manuels scolaires. Nous voudrions aujourd’hui attirer votre attention sur un problème qui est rarement évoqué, parce nous ne sommes pas encore habitué-es à une vigilance particulière sur cette question : le sexisme dans les manuels scolaires.

Comment les femmes sont-elles représentées dans les manuels scolaires ? La parité y est-elle de rigueur ? Les stéréotypes sexistes y sont-ils toujours présents ?

Ces questions sont d’importance : des réponses positives à ces questions tendraient à prouver que dans notre société, des stéréotypes existent, induisant des différences entre les sexes, que ces stéréotypes sont inculqués aux enfants dès leur plus jeune âge et dans les fondements de leur éducation.

Cet exposé se fonde sur le Rapport au Premier ministre sur la représentation des hommes et des femmes dans les livres scolaires de Simone Rignault et Philippe Richer publié en mars 1997 et commandé par Alain Juppé en septembre 1996 et sur nos recherches d’exemples dans les manuels scolaires actuellement utilisés dans les collèges et les lycées. Ce rapport se pose d’emblée dans une perspective culturaliste – qui signifie que l’identité des individu-es est le fruit d’une construction sociale et culturelle, et n’est pas « inné ».

I. L’importance du manuel scolaire

1. Quelques notions sur la fabrication et l’édition des manuels scolaires

À la base du manuel : le programme national officiel, publié par le Ministère de l’Éducation Nationale En France, l’État n’exerce aucun contrôle sur les ouvrages : ils sont fabriqués par des maisons d’édition libres. Il n’existe pas d’organe officiel d’habilitation des manuels scolaires. C’est la libre concurrence entre maisons d’édition qui joue. La cible des maisons d’édition (et des auteur-es) est l’enseignant-e car c’est lui/elle le prescripteur de l’ouvrage. Qui contrôle et maîtrise les contenus des ouvrages ?
- en partie l’État : par le programme, mais qui est très elliptique et assez peu prescriptif finalement/assez peu directif
- en partie, les auteur-es et la maison d’édition : pour les contenus,
- en partie, les enseignant-es pour qui les livres sont écrits. Pourquoi les manuels scolaires sont-ils si importants ?

2. L’image et le rôle des manuels scolaires

 Les manuels scolaires sont considérés comme des instruments pédagogiques majeurs. Utilisés très tôt par les enfants, ils font partie des premiers contacts des enfants avec la lecture et le monde des livres ; ils sont également le premier accès à la culture par l’écrit.  Les manuels scolaires sont revêtus d’une sorte d’autorité. En effet, ils sont prêtés par l’institution scolaire. Comme les encyclopédies, ce sont des ouvrages collectifs donc écrits par personne en particulier. Les élèves pensent qu’ils ne peuvent pas comporter d’erreurs, qu’ils sont infaillibles. Leur portée symbolique et leur aura sont importantes, ils sont considérés comme la référence, "le livre des livres" rassemblant l’état des connaissances d’une société à un moment donné. Parents, et a fortiori élèves, leur font spontanément confiance. À cause de cette aura, s’ils contiennent des stéréotypes, les élèves les absorbent comme des éponges. Marie Durut-Bellat dans L’ecole des filles écrit ainsi : « au travers de manuels supposés leur inculquer la lecture ou les sciences naturelles, les enfants se voient proposer des modèles masculins ou féminins de réalisation de soi. » Les manuels scolaires font partie de cette « multitude de mécanismes quotidiens, parfois très fins, en général inconscients, qui font que garçons et filles vivent à l’école quelque chose de profondément différent, une socialisation de fait très sexuée. » (p 75). C’est pourquoi les manuels, plus que tous les autres livres, doivent être exempts de toutes représentations erronées. En regardant de près les manuels, deux constats s’imposent : d’une part les femmes sont sous-représentées. D’autre part elles sont encore souvent représentées dans des rôles dévalorisants et limités.

II. LE CONSTAT

1. Les femmes sont sous-représentées a. Une sous-représentation quantitative

En général, dans les textes comme dans l’iconographie, les garçons et les hommes sont plus cités que les filles et les femmes. Ainsi, dans les livres de fictions pour les élèves du primaire, les héroïnes sont rares.

 À qui peuvent s’identifier les filles ?

Exemple : Dans la recherche de l’association européenne " Du côté des filles ", sur 600 albums illustrés pour les 0-9 ans (donc des élèves du primaire) : le monde est constitué en majorité d’hommes. De plus, la palette de figures masculines est variée, alors que les personnages féminins sont limités et caricaturaux. Mais dans les manuels du secondaire aussi, les auteures, les artistes et les personnages historiques femmes sont sous-représentées.

Exemple : Manuel de français « méthodes et techniques », classes des lycées, édition NATHAN 2002. Les femmes ne représentent que 5 % de l’ensemble des auteur-es cité-es (15 sur 314) De plus pour chacune d’elle le manuel mentionne moins d’extraits de leur œuvre que pour les auteurs hommes : 16) 1,6 extraits par auteure 17) 2,8 extraits par auteur Il est vrai que le nombre d’auteures-femmes est inférieur au nombre d’auteurs-hommes mais pas dans cette proportion, surtout au XXe siècle. Les manuels auraient pu :
- Souligner les raisons politiques, économiques, sociales et culturelles qui expliquent pourquoi les femmes n’ont pas un rôle et une place égales à celui des hommes dans la sphère de l’Histoire et des arts. (Nous développerons cet aspect en troisième partie).
- Montrer davantage les femmes qui ont agi sur le cours des événements. Car le message erroné qui est envoyé, c’est que les femmes n’appartiennent pas à la grande famille des auteur-es littéraires ou des artistes. En littérature, les manuels donnent l’impression qu’elles n’accèdent qu’aux genres mineurs, comme les journaux intimes, comme si elles étaient cantonnées à rester dans le singulier, sans jamais accéder à l’universel. Ce choix des auteur-e-s est celui de l’histoire littéraire faite par des hommes ; elle donne l’impression que l’homme parle en tant que représentant de l’universel, alors que pour les femmes, c’est leur subjectivité de sexe qui semble s’exprimer. L’élève se forge un jugement faux sur la littérature et il absorbe une représentation des sexes qui minore, qui minimise la parole ou la création des femmes.

Autre exemple en histoire : 1re L-ES, Belin, p. 89 : Ce manuel invite les élèves à faire des fiches sur des scientifiques, des écrivains, des peintres, et des cinéastes. Dans les noms proposés (en tout une vingtaine), AUCUNE femme, sauf Marie Curie mais citée à la suite de son mari (« Pierre et Marie Curie »).

Autre exemple en sciences physiques : 1re S, Hachette, 2001 : les illustrations qui accompagnent les explications ne donnent à voir pratiquement que des hommes : pour le calcul des vitesses, on voit un cycliste, un pongiste, un footballeur, un skieur, un golfeur, puis dans le chapitre sur les lois de Newton, des hommes dans une navette spatiale, Newton, Galilée, un patineur, un coureur, un motard. Les lois physiques ne s’appliqueraient-elles donc pas aux femmes ? Comment s’étonner dans ce contexte de la sous-représentation des jeunes filles dans les disciplines scientifiques ?

b. Il y a aussi des omissions et des erreurs

Les femmes sont quasi absentes de la sphère du travail et de la vie politique :
- Elles ne sont pas associées au pouvoir
- Les femmes célèbres sont peu ou pas évoquées (elles le sont dans un livre sur 10 en gros).
- Les femmes ne sont évoquées que dans les thèmes suivants : 3) condition féminine au XIXe siècle,  travail des femmes et des enfants,  rôle des femmes dans la première guerre, - émancipation des femmes dans les années 1920. Mais de nombreuses luttes sont laissées dans l’ombre : le rôle militant des suffragettes est passé sous silence ou escamoté dans la plupart des manuels (Didier, Hatier, Belin). L’histoire du droit de vote des femmes, lorsque les manuels en parlent, semble donné un jour comme ça par générosité, et non le fruit de luttes et de débats, comme le suffrage universel masculin. De fait, le programme de collège ne cite que Jeanne d’Arc et Marie Curie, mais il n’y a pas qu’elles ! De grandes figures sont oubliées, notamment lors de la Révolution française, Téroigne de Méricourt ou Olympe de Gouges ou pendant la Résistance. Mais l’Histoire ayant été écrite par des hommes et étant présentée ainsi depuis au moins un siècle, on a oublié les autres…

Exemple : Manuel d’Histoire 4e, Belin, pages de garde (juste au dos de la couverture) : une double page d’illustrations représentent des personnages historiques, sur une vaste échelle de temps (de Descartes à Pasteur, en passant par Marx, Voltaire et Zola). AUCUNE femme n’est représentée – alors même que des hommes de second rang le sont, comme Cavour.

Autre exemple : Histoire, 1re L-ES, Belin, p. 138 : Dans un dossier sur la Commune, nulle femme n’est évoquée, même pas Louise Michel.

C’est le même phénomène que dans les manuels de français. Les femmes ne sont pas associées à l’Histoire. Elles ne sont pas intégrées à l’ensemble du cours des événements, elles sont actrices de second plan, leur action est décousue car elles n’apparaissent qu’ici et là : l’image qui transparaît est que l’Histoire est faite par les hommes. Là aussi, il est vrai que les guerres et les conquêtes sont des histoires d’hommes. Mais l’Histoire n’est pas faite que des guerres et des conquêtes… Quelle est l’histoire des femmes ? Quel modèle de responsabilité politique la culture propose-t-elle aux jeunes filles ? Comment s’étonner du peu de femmes en politique lorsque leur histoire est gommée ? Quel héritage légitimerait leur action ?

Ce qui est plus grave, c’est qu’on trouve des erreurs : certains manuels, ils sont rares heureusement, parlent presque toujours de suffrage universel pour suffrage universel masculin (en 1848).

Exemple : Manuel d’Histoire 1re L-ES, Belin, p. 128 : une des grandes mesures prises par le gouvernement de la IIIe République est « le rétablissement du suffrage universel », surligné en jaune. Exemple : Manuel d’Histoire 4e, Belin, p. 68 : la Convention élue en sepembre 1792 instaure « le suffrage universel ».

Les femmes sont donc sous-représentées dans les manuels scolaires. C’est une vision tronquée des choses qui est transmise. En plus, les femmes qui figurent dans les manuels sont souvent représentées dans des rôles dévalorisants.

2. Les femmes sont représentées dans des rôles dévalorisants

a. La perpétuation du modèle traditionnel

Le stéréotype le plus fréquent (= modèle traditionnel) : la femme responsable des tâches familiales et domestiques accompagnée parfois de sa fille qui la seconde. Or (le nouveau) modèle féminin dominant dans notre société est celui de la femme qui concilie activité professionnelle et vie familiale. Ainsi les manuels transmettent une image obsolète des femmes, celle de la mère cantonnée à la sphère familiale et domestique. Le stéréotype de « la femme aux fourneaux » est récurrent dans toutes les matières. Les manuels se sont beaucoup améliorés, mais on trouve encore, dans des livres de mathématiques par exemple, des énoncés de ce genre (exemple emprunté au rapport fait au premier ministre) : « Pour s’équiper en outillage, M. Duchemin (qu’on imagine aisément blanc, français de souche) a fait l’achat d’une perceuse à 51 euros et d’une scie à 35 euros. Pour le repas, Mme Duchemin a acheté un rôti de veau à 9,56 euros et un camembert à 1,7 euro. Mme Duchemin envoie Christine acheter une baguette à 1 euro… » L’homme est traditionnellement associé aux activités de bricolage dans la maison alors que la femme s’occupe du repas. On voit également que la fille (et non le fils) est associée à l’achat des courses. L’énoncé de ce problème reflète une répartition traditionnelle du partage des activités au sein de la maison. En perpétuant ces stéréotypes sans proposer d’autres modèles, ce manuel ne fait qu’ancrer ces représentations. Exemple : Manuel de mathématiques, 5e, collection 5 sur 5, Hachette éducation, p. 95 : des exercices de cours mettent en scène sur la même page : 2 motards, Olivier et Jacques ; Luc, qui veut faire le plan de sa chambre ; Sylvie, qui observe une coccinelle sur une fleur. Page 101, « Marie veut tricoter un pull… ». On voit ici le stéréotype dans lequel on tombe : aux garçons, l’action, le sport, la moto, aux filles, l’observation, les fleurs et les travaux d’intérieur. Ce stéréotype qui reflète sans aucun doute une réalité actuelle, est la description d’un état de fait – mais on voit le danger à cantonner un groupe d’êtres humains à des fonctions qui leur seraient « naturelles ». En perpétuant ce genre de clichés, les manuels ne participent sûrement pas à l’émancipation des filles et des garçons. Une partie de leurs choix de vie (et d’études !) leur est dérobée. Exemple : Manuel d’allemand, 2nde, Kontakt, Bordas, p. 92 : en haut de page, un joueur de hockey en photo. En bas, le dessin d’une femme qui s’interroge (en allemand) sur le nombre de calories contenu dans une tablette de chocolat. À côté d’elle : une photo de caddie plein de victuailles, et un tableau avec la liste des courses et le nombre de calories pour chaque produit. Aux filles le souci du corps et des soins domestiques, aux hommes le déplacement, la performance. Exemple : Manuel d’Histoire 1re L-ES, Belin, p. 220 : Dans un dossier sur « La lutte des femmes pour l’égalité des droits », est reproduite une affiche de 1925 en faveur du vote des femmes. Sur l’affiche est écrit un bref argumentaire : « la femme doit voter pour éviter la guerre, protéger l’enfance, améliorer l’hygiène, endiguer l’immoralité etc. ». Les arguments proposés se réfèrent aux stéréotypes habituels, Ceux-là mêmes qui ont été invoqués par quelques personnes pour soutenir la loi sur la parité. Les femmes sont ici reconnues pour leurs qualités maternelles et morales. Elles sont dévolues aux secteurs de l’éducation « protéger l’enfance », de la santé « améliorer l’hygiène ». Aucun argument ne s’appuie sur le développement économique par exemple. Le manuel n’invite aucunement à la distance critique par rapport à ces arguments, il invite seulement l’élève à les relever (« énumérer les arguments en faveur du suffrage féminin ». Exemple : Français Méthodes et techniques, Nathan, 2001 (p. 14) Un exercice propose d’analyser une publicité pour les livres montrant un poing brandi suggérant la révolte. Le slogan dit : « on a le droit de se gaver. » La consigne est : « Pour solliciter l’attention d’une mère de famille, préoccupée par l’éducation de ses enfants, quel autre slogan faudrait-il imaginer ? » La femme est encore représentée dans son rôle de mère de famille sans autre intérêt que ces enfants. En outre, le poing symbolisant la révolte serait d’après cette consigne peu adapté aux femmes : il est bien connu que les femmes sont douces, sensibles et soumises, peu enclines à la révolte… D’ailleurs la proposition du livre du professeur est : « vous avez le droit de plonger dans les livres », ou « vous avez le droit de plonger dans les rêves ». Le passage du « on » au « vous » est significatif : si la cible est une femme c’est autrui qui lui donne le droit et non elle qui le prend. Et on retrouve avec l’image du plongeon et du rêve le stéréotype associant la femme au monde des sensations et de la subjectivité.

b. Les femmes sont représentées dans des rôles dévalorisants et stéréotypés

Des rôles subalternes

Exemple : Manuel d’école hôtelière et restauration, « Savoirs et techniques de Restaurant », tome I, édition Bpi, p. 17 : Alors que dans ce manuel, toutes les photos (une trentaine), montrent des hommes qui jouent le rôle de maîtres hôteliers et de sommeliers en train de servir les clients chics, une seule photo représente une femme : elle est en train de passer le balai sous la table après le repas. La seule occupation professionnelle dévolue aux femmes ne contredira ainsi pas l’idée que les femmes sont « naturellement » faites pour les tâches domestiques quotidiennes.

Le stéréotype de la femme-objet, valorisée à travers l’image de son corps.

Exemple : Manuel d’allemand, 2nde, Kontakt, Bordas, p. 97 : dessin d’une femme en robe de soirée, et une bulle avec écrit en allemand. La femme s’interroge sur l’effet de sa robe. « Kleider machen Leute » : seule l’apparence compte. Autre dessin p. 77 représentant une femme devant son miroir et une bulle « Qui est la plus belle de tout le pays ? ». Dans ce manuel, que nous avons déjà cité, c’est la répétition des clichés au fil des pages qui enracine une image stéréotypée de la femme, exclusivement attachée aux soucis de la beauté et de la séduction.

Le stéréotype de la « femme féminine », c’est-à-dire belle, douce, passive, faible, etc. Exemple : dans un dictionnaire pour enfants (ex tiré du rapport au 1er ministre), on trouve les exemples suivants pour illustrer les différents sens du mot bien :
- Elle est bien, elle est belle.
- Un homme bien est un homme estimable (sérieux). (sic !) Exemple : Dans un dictionnaire pour les enfants de primaire (idem, issu du rapport au 1er ministre), les quaificatifs « force », « énergie », « virilité », « courage » sont associés au mâle/masculin et « charme », « douceur », « délicatesse », « contraire de virilité », « beauté » sont associés au féminin.

Exemple : Manuel d’anglais, 3e, Step in, Hatier, p. 102 : un dessin représente une femme qui n’arrive pas à brancher son sèche-cheveux : elle n’a pas compris que les prises électriques n’étaient pas les mêmes en France et en Espagne ! Ici, non seulement la fille est encore une fois associée au souci du corps et de beauté mais en plus elle paraît dans une situation dévalorisante d’incompréhension d’un phénomène. (stéréotype de la femme sotte) Dans le même manuel, les exemples donnés véhiculent souvent des stéréotypes, ainsi p. 108 (je traduis) : « Quand vas-tu commencer ton travail ? – Dès que j’aurai fini de me faire les ongles », et encore : « depuis quand pratiques-tu la danse classique ? ». Là encore, c’est l’effet de répétition et de réduction qui classe l’ouvrage parmi les manuels sexistes.

La femme un peu sotte :

Exemple un dictionnaire pour enfants (cité par le rapport) : « il lui parle pour qu’elle ne s’ennuie pas » : « elle » est un peu sotte mais aussi inactive et sans initiative (mais heureusement « il », son mari, est intelligent). Il s’agit là encore d’un exemple qui met en valeur l’opposition actif/passive, intelligent/sotte, action/réception. Lorsqu’on les voit au travail, les femmes exercent des métiers peu valorisants : elles sont ouvrières (cf. pendant les deux guerres mondiales), gardiennes d’immeuble, ou bien elles font des métiers traditionnellement « féminins » : infirmières ou maîtresses d’école. Alors que les hommes font des métiers variés et de responsabilité.

Exemple : Dans un manuel de français CM1 (cité dans le rapport) : « Le centre spatial est habité par des savants, la fusée Ariane est construite par des ingénieurs, le physicien part en Guyane par avion » (et que font les femmes ?), etc.  Cette image est contraire à la réalité, on occulte l’activité des femmes : il existe en France 510 000 (chiffre à vérifier) femmes chefs d’entreprise et 43 % des magistrats sont des femmes (pour ne citer que deux exemples).

Exemple récapitulatif : dans un dictionnaire pour enfants de primaire (cité dans le rapport) : À la définition du mot bain : « Le président prend un bain de foule, Jeanne prend un bain de soleil. »

Conclusion : Quel modèle d’identification est proposé aux filles dans les manuels ? Les manuels envoient aux filles un message de dévalorisation avec un modèle et un rôle préétablis, traditionnels, peu variés et inférieurs à ceux proposés aux garçons, ce message les empêche d’avoir la liberté de leur choix.

III. Des solutions : que faire à partir de ce constat ?

1. Choisir un manuel en étant vigilant

Tous les livres sont-ils sexistes ? Non ! Dans certains livres, les stéréotypes ont complètement disparu mais les femmes ont disparu avec. Dans d’autres, les stéréotypes ont disparu et les femmes sont restées, mais avec un traitement égal dans la répartition des tâches par Exemple issu du rapport : dans un livre de lecture (1996), les parents sont associés tous les deux à la vie de famille, papa ou maman achète le cartable ou le sac de sport, le père est présent le mercredi, les parents vont ensemble à la piscine. Donc, il est possible d’éliminer les stéréotypes tout en abordant tous les sujets (vie familiale, vie professionnelle, etc.) et tout en donnant une image vraie de la société (la réalité c’est que les rôles, notamment parentaux, ont évolué et évoluent : oui, les papas achètent des cartables !). Par ailleurs, quelques rares manuels attirent l’attention de l’élève sur la question de l’égalité entre les sexes. Exemple : Manuel d’allemand, 1re, Horizonte, Didier, p. 41-45 : un grand dossier thématique « Neue Berufe für Frauen ? » [= de nouvelles professions pour les femmes ?], avec des photos montrant des femmes militaires, une femme technicienne etc. Le manuel invite les élèves à débattre en allemand de la question. En histoire, regarder de près la place de l’histoire des femmes et le bon usage de l’expression « suffrage universel ».

2. L’enseignant-e peut aussi compléter les omissions du manuel

En général, et contrairement aux hommes, lorsque les femmes apparaissent dans les manuels, leur présence n’est souvent ni soulignée, ni valorisée par les auteur-es :

Exemple : Dans une étude menée sur une trentaine de livres d’histoire pour le lycée, si un auteur évoque le nom de Marie d’Agoult qui publia sous un nom d’homme (Daniel Stern), il n’explique pas la raison de son choix, idem pour Louise Michel ou les suffragettes : pas de détails sur leur origine, leur devenir, l’enjeu de leur combat. L’apparition des figures féminines dans les livres d’histoire souffre donc d’un déficit de sens, révélant un processus de dévalorisation inconscient, préoccupant quant à ses effets sur les élèves qui ne peuvent pas comprendre le rôle des femmes dans l’Histoire de France et dans la société contemporaine. Les articles dans L’histoire des femmes en occident de Duby et Perrot peuvent être utilisés à cet effet. Cette absence de commentaire sur les femmes les rend quasi invisibles.  Le modèle d’identification proposé aux filles est problématique. Il ne s’agit pas d’affirmer systématiquement que les manuels omettent de mentionner telle figure historique, scientifique ou artistique quand elle est une femme. Il s’agit de reconnaître cette absence historique des femmes sur la scène publique et artistique, mais pour l’expliquer. Sans une volonté pédagogique de l’enseignant-e, les manuels continueront à donner l’idée que les femmes sont « naturellement » moins douées que les hommes pour les carrières intellectuelles et artistiques. Nous allons donner trois exemples d’explication concernant le fait que les femmes soient quasiment absentes de la scène artistique jusqu’à la seconde guerre mondiale :
- Dans les arts plastiques par exemple : De la Renaissance jusqu’à la fin du XIXe siècle environ, la représentation du nu est considéré comme un passage obligé de l’apprentissage artistique. Or, les femmes étudiant la peinture n’ont pas accès aux ateliers lors des scéances de travail sur la représentation du corps humain. De ce fait, cela oblige les femmes à se cantonner aux genres considérés comme mineurs (la peinture de paysage, la nature morte). Par ailleurs le système maître/apprenti exclut presque systématiquement les femmes. C’est ici le système académique qui est profondément discriminant.
- Le même phénomène apparaît dans le monde des Lettres. Pendant très longtemps, l’éducation des filles n’a pas été la priorité de la nation. On pensait qu’éduquer les filles comme les garçons engendrerait l’insoumission, l’indifférenciation et la fin de la famille. De plus, l’accès au statut d’auteur était problématique vu la stigmatisation sociale : sortir du rôle de procréatrice était mal perçu et difficile à assumer. Il faut considérer en effet que la femme portant le nom de son père ou de son époux les représente, et risque ainsi de salir le nom en sortant de son rang et de la pudeur que lui imposait son sexe, selon l’expression consacrée. C’est une des raisons qui expliquent notamment le choix de noms d’hommes par certaines femmes de lettres (voir Christine Planté, La petite sœur de Balzac et Une chambre à soi de Virginia Woolf) Les femmes s’engageant dans une carrière intellectuelle ou artistique ont donc à faire fi de l’opprobe jetée sur elles. Faire carrière supposant un « sacrifice » de leurs fonction maternelle, l’artiste étant par nature paré de qualités « masculines » (génie, indivudualisme, force de caractère etc). Ainsi, Louise Labbé est insultée, Mme de Lafayette ne publie pas sous son nom, et Mme de Sévigné est tolérée mais parce que ses lettres sont adressées à sa fille. Elle s’exprime donc en tant que mère, elle convient ainsi à l’image attendue des hommes qui décident dans les diverses académies de lettres. En apportant aux élèves les raisons sociales et historiques de la sous-représentation exhorbitante des femmes (souvent encore aggravée par les manuels) dans la sphère publique, on remet en question l’idée sous-jacente d’une inaptitude des femmes à exceller dans les voies de la création.

Exemple en sciences économiques et sociales : séance sur la population de l’Europe. La population de l’Europe veillit et n’augmente plus que faiblement (et ce grâce à l’immigration uniquement). Causes communes à plus ou moins tous les pays européens : baisse de la natalité et du nombre d’enfants par couple due à allongement durée des études -mais aussi difficultés à trouver un emploi stable pour ceux qui n’en font pas-, chômage et crise éco -particulièrement sensible pays de l’est-, coût du logement, de l’éducation et des études des enfants, généralisation du travail des deux parents à temps plein avec des horaires qui restent élevés, aspiration à préserver d’autres activités peu compatibles avec une famille nombreuse-loisirs- etc) Cependant, on note des différences importantes d’un pays à l’autre, comment les expliquer ? L’hypothèse de départ des élèves est souvent qu’il y a des différences de mentalité (des pays plus attachés aux valeurs familiales que d’autres) et ils s’attendent donc à trouver de forts taux de natalité dans les pays du sud de l’Europe. Or c’est en Espagne (1,2) que le taux de natalité est un des plus faibles. Car les femmes ont des difficultés à concilier famille et emploi (même « stable et lucratif ») dans ce pays, car les structures d’accueil pour enfants (crèches, maternelles, centres de loisirs…) sont peu développées. Ainsi il est possible de compléter cette séance sur la population européenne par des articles de presse sur les effets des différentes politiques de mode de garde sur la natalité des pays européens.

3. Exercer les élèves au regard critique

Par exemple en leur demandant de compter la proportion de femmes de lettres dans le sommaire de leur manuel de français ou d’histoire et de faire des recherches afin d’expliquer ce phénomène. L’ECJS (l’éducation civique) se prête bien à ce genre d’activités. Le thème de l’altérité est préconisé en français en seconde pour l’argumentation : il peut donner lieu à des activités sur la place des femmes, le sexisme, etc.

Exemple : la séance du dictionnaire 1) Rechercher dans le dictionnaire des définitions de noms de métiers puis comparer les termes utilisés (Homme/Personne ; nom féminin/non masculin). • Matador n.m. Homme chargé de tuer le taureau dans une corrida.  aussi torero. • Chirurgien n.m. Médecin qui opère les malades et les blessés.  Infirmier n.m., infirmière n.f. Personne dont le métier est de prendre soin des malades. • Mécanicien n.m., mécanicienne n.f. Personne qui entretient et qui répare les machines et les moteurs. • Garde-chasse n.m., Homme qui protège et soigne le gibier dans une forêt privée, un domaine.  Puéricultrice n.f. Personne dont le métier est de s’occuper de bébés et de très jeunes enfants. • Mathématicien n.m., mathématicienne n.f. Personne dont le métier est de faire des mathématiques.

2) on pourra s’interroger avec les élèves sur la répartition sexuée des métiers, et sur le fait que certains soient acceptés comme mixtes par le dictionnaire, tandis que d’autres restent attachés à l’appartenance à l’un ou l’autre sexe (pourquoi pas de puériculteur ? et il y a maintenant des matadoras femmes).

Conclusion :

Les choses s’améliorent tout de même, mais il est préférable d’être attentifs-ves à ce qu’on véhicule aux élèves - et cela vaut pour toutes les formes de discriminations.

Bibliographie

 Source de l’exposé Rignault Simone et Richert Philippe, Rapport au premier ministre sur la représentation des femmes et des hommes dans les livres scolaires, la Documentation française, mars 1997.  Bulletin Officiel « De la mixité à l’égalité », Bulletin Officiel, Hors-Série n° 10, 2 novembre 2000.

« L’éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées, Bulletin Officiel, n° 9, 27 février 2003  Revues pédagogiques « Filles et garçons dans la littérature de jeunesse », Textes et Documents pour la Classe, n° 823, 1er au 15 novembre 2001.

« Femmes – hommes, quelle égalité ? », Textes et Documents pour la Classe, n° 848, 15 janvier 2002.

« Filles et femmes à l’école (II) », Cahiers pédagogiques n° 372, mars 1999.

De Manassein Michel (sous la direction de), De l’égalité des sexes, Documents, actes et rapports pour l’éducation, CNDP, Paris, 1995. Cet ouvrage propose des articles généraux sur la mixité, mais aussi des articles plus spécifiques à certaines disciplines, telles que les sciences physiques, les mathématiques, le français et l’Histoire.  Ouvrages généraux

Sciences de l’éducation

Crabbé Brigitte, Les femmes dans les livres scolaires, Pierre Madraga, Bruxelles, 1985. Duru-Bellat Marie, L’école des filles, Paris, l’Harmattan, 1990. Mosconi Nicole, Femmes et rapport au savoir : la société, l’école et la division sexuelle des savoirs. Paris, L’Harmattan, 1994. • Mosconi Nicole, La mixité dans l’enseignement secondaire : un faux-semblant ? Paris, PUF, 1989. Zaidman Claude, La mixité à l’école primaire, L’Harmattan, Paris, 1996.

Lettres

Planté Christine, La petite sœur de Balzac, Seuil, 1989. Woolf Virginia, Une chambre à soi, 10/18, Paris, 1992. Yaguello Marina, Les mots et les femmes, Petite Bibliothèque Payot, 2002.

Philosophie

Fraisse Geneviève, La différence des sexes, PUF, collº Philo, 1996. Le Doeuff, Le sexe du savoir, Champs Flammarion, 1998.

 Sites

Ministère de l’Education nationale - Mission égalité des chances http://www.education.gouv.fr/syst/e...

Mix-Cité, mouvement mixte pour l’égalité des sexes www.mix-cite.org

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