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ON NE NAIT PAS HOMME ON LE DEVIENT !

Des rapports homme/femme : la construction du masculin

mercredi 27 avril 2005, par philzard

- Vous pouvez lire ci-dessous, quelques extraits choisis d’une interview de Daniel Welzer Lang sur les questions de relations homme - femme.
- Cette entretien est paru dans le journal Sciences Humaines.

- Pour parodier Simone de Beauvoir, on pourrait dire en effet que « l’on ne nait pas homme, on le devient ». L’injonction à la virilité est un code de conduite très puissant dans les représentations et les pratiques sociales des hommes... Dans les travaux que j’ai menés, lorsque l’on demande aux hommes de raconter les événements marquants de leur biographie individuelle, ils parlent beau- coup d’une socialisation masculine qui se fait dans les cours d’école, les clubs de sports, la rue ; tous ces lieux dont les garçons s’attribuent l’exclusivité d’usage, ce que j’ai appelé, par référence aux travaux de Maurice Godelier : « la maison des hommes ».

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- C’est dans le groupe des pairs que, dès le plus jeune âge, les garçons apprennent qu’ils doivent se différencier des femmes : ne pas se plaindre, apprendre à se battre, apprendre aussi à être les meilleurs... Tout ce qui n’est pas conforme à la conduite virile va être classé comme féminin Le garçon qui n’y adhère pas va être la risée des petits camarades, exclus du groupe des hommes, souvent violenté. De fait, les hommes vont être socialisés à la violence masculine des plus forts sur les plus faibles. C’est d’ailleurs cette même violence qu’ils vont reproduire par la suite dans le monde du travail, dans le couple... Les ordres de pouvoir masculin (politiques, professionnels, sociaux) reproduisent d’une façon ou d’une autre ces injonctions.

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- Mais l’injonction à la virilité est aussi génératrice de souffrance pour les hommes. Pendant des siècles, les nommes ont dû cacher leur sensibilité, ne pas se plaindre. Pendant la Grande Guerre, relate Emmanuel Reynaud in, Charles Ardant de Picq, les stratèges de l’armée se demandaient comment faire aller les hommes à la guerre en chantant ? Il fallait trouver un motif plus fort que la peur de la mort. On l’a trouvé en répandant l’idée que ceux qui ne voulaient pas aller se battre étaient des femmelettes. Mieux valait mourir que de perdre sa virilité... Ce n’est pas un hasard si les premiers groupes d’hommes antisexistes se sont trouvés parmi les objecteurs de conscience ou les insoumis - des hommes qui remettaient en cause l’armée. Le passage par l’armée représentait un rituel collectif d’affirmation de la virilité.

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- Ce modèle perdure-t-il encore aujourd’hui avec les évolutions sociales que l’on connaît (disparition de l’armée, mixité scolaire, mouvement d’émancipation des femmes) ? L’ordre viril est lié à la naissance de la société patriarcale et industrielle. Aujourd’hui, le modèle industriel s’est transformé. Avant, le travail faisait l’homme : le travail physique, musculaire, s’accordait au stéréotype de la virilité. Aujourd’hui, machines et robots remplacent la force physique : avoir des bras musclés et des gros doigts par exemple n’est pas forcément un atout pour taper sur les claviers d’ordinateurs. Ces transformations, auxquelles se sont ajoutées la concurrence des femmes et en outre l’augmentation du chômage, font que le modèle du travailleur, à travers lequel s’affirmait celui de la virilité, s’est délité. Mais, comme le dit François de Singly lorsqu’il parle des « habits neufs de la domination masculine », il existe une recomposition des formes de domination. Les « grands hommes » qui sont les modèles d’identification masculine sont aujourd’hui les hommes politiques, les médecins, les capitaines d’industrie qui, dans le contexte de l’économie mondialisée, ont le pouvoir de délocaliser et mettre des milliers de personnes au chômage... Or, pour faire partie des grands hommes aujourd’hui, on peut être petit et fluet...

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- Et dans le couple, comment cela se passe-t-il ? Dans le couple, on souligne souvent les inégalités entre les deux sexes. Mais il faut prendre en compte les effets de cette socialisation différenciée qu’ont eue dans leur enfance filles et garçons. Par exemple, que se passe-t-il lorsqu’un couple veut partager le travail domestique ? Les femmes s’assimilent « au propre et au ranger » qu’elles « doivent » assurer dans l’espace domestique : si c’est sale chez elle, c’est sale dans leur tête. Donc la femme nettoie avant que cela soit sale. Les hommes se mettent à ranger et à nettoyer quand il y a trop de chaussettes qui traînent, que tout est encombré... Là femme a un comportement préventif, l’homme curatif. Lorsque le couple décide de partager les tâches, les femmes « craquent » souvent avant les hommes... Donc, l’égalité nécessite que chacun, mais aussi chacune, lâche un peu sur ces comportements, ces habitus incorporés... On a souvent une vision moraliste et quasiment ontologique de la domination masculine... Mais en fait ce ne sont que des rapports sociaux, et ils peuvent changer.

- Hommes et femmes s’adaptent aux situations. Comme la domination masculine n’apporte plus les mêmes privilèges qu’avant, les garçons découvrent quels bénéfices ils peuvent tirer des évolutions actuelles : pouvoir parler de soi, exprimer sa sensibilité et ses émotions... De même que les femmes s’annexent des valeurs d’autonomie et d’affirmation de soi. Pour moi, ces comportements - dits masculins ou féminins - n’ont rien à voir avec le sexe biologique mais correspondaient à des constructions sociales liées à ce qu’on appelle aujourd’hui le genre.

P.-S.

Extraits du site www.scienceshumaines.com, Daniel Welzer Lang est sociologue, maître de conférences à l’université Toulouse-Le-Mirail, auteur notamment de Nouvelles approches des hommes et du masculin, Presses universitaires du Mirail, 2000.

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