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Contribution d’Eric VERDIER

samedi 3 septembre 2005, par philzard

- Selon nombre d’études américaines et canadiennes (cf Firdion et Verdier 2003), les jeunes homosexuels de 15 à 34 ans auraient 4 à 7 fois plus de risques de se suicider que les jeunes hétérosexuels du même âge, et ce risque serait accru de 40 % pour les jeunes lesbiennes. En France, aucune enquête probabiliste et sur un échantillon assez large, n’a pour l’instant été envisagée pour appréhender la vulnérabilité suicidaire chez de jeunes gays, bisexuel-le-s et lesbiennes.
- Pourtant plusieurs signes convergent et devraient nous alerter sur des taux comparables, voire supérieurs, à ceux obtenus outre-atlantique. Ainsi le psychiatre Xavier Pommereau, directeur du Centre Abadie à Bordeaux, déclare : « Ici, au cours de la relation que l’on établit avec de jeunes patients, 25% des garçons se déclarent homosexuels. Ce chiffre tourne autour de 10% chez les filles. » (cf. Yann Legoff 2001). D’autre part, Philippe Adam de l’I.N.V.S. (2001), constate que 27% des gays de moins de 20 ans déclarent au moins une tentative de suicide, puis que ce pourcentage diminue et se stabilise autour de 15% chez les plus de 35 ans (ces chiffres sont majorés s’il y a eu rejet parental, et encore plus nettement si le jeune a été victime d’une agression homophobe).
- Ce constat nous a amené à nous intéresser à un double verrou : le tabou de l’homosexualité associé à celui du suicide. A partir des récits d’une douzaine de personnes s’étant senties vulnérables par rapport au suicide, nous avons tenté de mettre en évidence ce qui avait pu sous-tendre les idées ou les passages à l’acte suicidaires, et à l’inverse ce qui avait pu les en protéger. Chez les personnes rencontrées, les épisodes suicidaires les plus aigus se situent au moment de l’adolescence et lors de l’entrée dans la vie adulte. Et pour la majorité d’entre elles, c’est face à une homophobie intériorisée que se situent les épisodes suicidaires majeurs : tout se passe comme si, alors que la personne sort d’une première phase de déni (cf travaux de Bill Ryan et Jean-Yves Frappier), elle prenait conscience de quelque chose d’extrêmement dévalorisant dans la relation à ellemême, la situant soit du côté de la maladie, soit du côté d’être indigne de la morale ou de la religion de son groupe d’appartenance. De surcroît, même si seules certaines d’entre elles ont effectivement été confrontées à un ostracisme clairement exprimé à leur encontre, toutes ont connu l’indifférence ou la passivité des adultes alentour vis-à-vis de comportements ouvertement homophobes au travers des injures, et l’ont ressentie comme plus traumatisante que le traumatisme lui-même.
- A l’inverse, les personnes qui se sont senties le moins vulnérables par rapport au suicide ont d’une part bénéficié d’un soutien sans faille d’au moins une personne significative de leur entourage (souvent un parent), et également d’une capacité à donner du sens à ce qui leur arrivait, à l’instar des travaux de Boris Cyrulnik sur la résilience. Elles ont également toutes regretté l’absence d’adulte référent, vivant ouvertement son homosexualité, et auquel elles auraient pu s’identifier.
- Cette étude a conduit le Ministère de la Santé à financer une recherche-action intitulée « Discriminations et conduites à risque chez les jeunes », portée par la Ligue des droits de l’Homme, et articulée autour de quatre axes :

- · Réaliser un état des lieux communautaire sur les besoins et ressources des acteurs de terrain en régions, afin de prendre en compte et de prévenir les tentatives de suicide et les conduites à risque mortel chez les jeunes concernés par ces discriminations.
- · Elaborer la maquette d’une plaquette de sensibilisation en direction des jeunes, autour des difficultés à annoncer et à vivre « ses différences » à l’adolescence, et pour lesquelles il existe une discrimination potentielle.
- · Animer des groupes de parole expérimentaux, en direction de jeunes orientés par les professionnels et bénévoles associatifs en relation avec eux, sur une porte d’entrée plutôt « généraliste », du type : « je me sens différent-e des autres garçons-filles de mon âge, et j’aimerais en parler avec d’autres qui vivent ce même sentiment... ».
- · Construire collectivement, au travers d’une formation-action, un référentiel pédagogique à destination d’acteurs de terrain en contact avec des jeunes, autour du lien entre les discriminations vécues ou crantes par les adolescents et les jeunes adultes, et les conduites à risque mortel.
- Nous espérons pouvoir poser les bases d’un véritable travail de sensibilisation auprès des jeunes mais aussi auprès des adultes qui les entourent, afin que le déni (forme « passive » d’homophobie, cf Flora Leroy-Forgeot) et l’ostracisme flagrant dont certain-e-s sont victimes (forme plus « active » d’homophobie qui touche également les jeunes hétérosexuels ne se conformant pas aux stéréotypes en vigueur dans leur milieu socio-culturel, cf Pierre Tremblay) n’enferment plus dans un combat solitaire ceux et celles qui transgressent les « lois du genre ».

- Eric Verdier Chargé de mission à la Ligue des droits de l’Homme

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- Références :

- Adam Philippe 2001 « Dépressions, tentatives de suicide et prise de risque parmi les lecteurs de la presse gay française », Brighton : conférence AIDS Impact.
- Cyrulnik Boris 1999 Un merveilleux malheur, Paris : Editions Odile Jacob.
- Firdion Jean-Marie, Verdier Eric 2003 Homosexualités et suicide, Montblanc : H&O.
- Le Goff Yann 2001 « La difficulté d’être », Têtu, n°53, Paris : Editions CPPD.
- Leroy-Forgeot Flora 2001, « Fondements et aspects de la figure négative de l’homosexuel/le » et « L’homophobie aujourd’hui », Cours de DESS « Conseiller-médiateur : genres et sexualités », Reims : Faculté de Droit et Sciences Politiques.
- Pommereau Xavier 1997 Quand l’adolescent va mal, collection « Bien-être », Paris : J’ai Lu.
- Ryan Bill, Frappier Jean-Yves 1994 « Quand l’autre en soi grandit : les difficultés à vivre l’homosexualité à l’adolescence », in Welzer-Lang et al. La Peur de l’autre en soi : du sexisme à l’homophobie, Montréal : VLB Editeur. Tremblay Pierre 2000 « Orientations homosexuelles ou bisexuelles chez les jeunes présentant des problèmes suicidaires », in Vis-à-vie n°10-2, Montréal : Association Québécoise de Suicidologie.

P.-S.

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