EDU RESPECT.fr.ht
Accueil du site > Amphi sur les questions relatives à la diversité humaine, à l’altérité > Préférence sexuelle, niveau social, origine ethnique : la discrimination (...)

Une recherche action d’Éric Verdier

Préférence sexuelle, niveau social, origine ethnique : la discrimination conduit à la prise de risque

Un article paru dans la revue de l’INPES

lundi 5 septembre 2005, par philzard

L’homosexualité, un niveau social modeste combinés à une couleur de peau non blanche nourrissent les discriminations et conduisent les personnes discriminées à adopter des comportements à risque. Telle est la conclusion d’une « recherche action » menée par le psychologue Eric Verdier. Ce constat l’a conduit à créer des espaces de parole pour « rendre la voix » à ceux qui cumulent les discriminations. Des formations des professionnels sont également organisées pour prévenir ces discriminations.

Source : article paru dans Santé de l’homme, revue de L’INPES, n° 387, janvier-février 2007.

- Nous avons mené une recherche-action intitulée « Discriminations et conduites à risque chez les jeunes », concernant plus particulièrement celles impliquant une tentative de suicide ou une conduite à risque létal. C’est une synthèse de ces travaux que nous présentons ici. Cette recherche s’est également fondée sur l’expérience de la Ligue des droits de l’Homme en matière de lutte contre les discriminations, des témoignages reçus par les ligueurs. Nous avons aussi utilisé l’expertise réunie auparavant au travers d’un ouvrage auquel nous avons collaboré : « Homosexualités et suicide » ; au travers également de notre participation à l’élaboration du plan de santé publique « Violence et Santé ». Cette recherche action (enquête suivie de la mise en place de groupes de parole et de formations des professionnels) a été réalisée grâce notamment à un financement de la Direction générale de la santé (DGS) (1), Le thème retenu était pour le moins innovant : y a-t-il un lien entre les discriminations et la mise en danger de soi chez les jeunes, et quels sont les facteurs de vulnérabilité et de protection que l’on peut identifier pour orienter le travail de prévention ?

- Au départ, il s’agissait de mieux comprendre l’incidence de l’homophobie sur les trajectoires suicidaires des jeunes (2), Et, par extension, il s’agissait de mieux identifier le « pourquoi » des discriminations qui isolent - par opposition aux discriminations qui fédèrent, le soutien du groupe de pair et de la famille représentant l’un des facteurs de protection les plus efficaces vis-à-vis du suicide. Après quelques mois de tâtonnement, c’est le mécanisme qui fait que certaines personnes deviennent des « boucs émissaires » (personne qui est désignée par un groupe comme devant endosser un comportement social que ce groupe souhaite évacuer) qui est apparu comme le plus pertinent à analyser, à la fois pour les jeunes et pour les professionnels en contact avec eux. Cet élargissement de la recherche action au-delà de l’homophobie permet d’éviter la focalisation fréquemment entendue « Ah oui d’accord, c’est pour les homos... », ce qui, dans notre recherche, a empêché simultanément les jeunes homosexuels craignant la stigmatisation, et les autres redoutant la contamination du stigmate, de se sentir concernés.

- Trois axes ont donc été déclinés pour parvenir à cerner la problématique : - un état des lieux sur l’homophobie auprès des acteurs de terrain (travailleurs sociaux, animateurs, enseignants, personnels médicaux, bénévoles,...) en contact avec des jeunes en France et dans les Dom-Tom ; - la mise en place d’espaces de parole en direction de jeunes « différents, discriminés voire boucs émissaires » à l’échelle de la France métropolitaine ; - une formation-action à destination des acteurs de terrain dans l’objectif de mutualiser et de créer des outils sur les discriminations et les conduites à risque.

- Par ailleurs, la mission Prévention des conduites à risque de la Seine-Saint-Denis nous a permis de faire réaliser une partie de l’évaluation par des experts extérieurs et de bénéficier du regard d’une sociologue sur le profil des jeunes participant aux espaces de parole, sur celui de ceux qui n’y sont pas restés. La même sociologue a déterminé les caractéristiques des partenaires impliqués, mais aussi de ceux qui ont des résistances à soutenir l’action. Cette recherche-action a également eu un impact in attendu, puisque le Crips (Centre Régional d’Information et de Prévention du Sida) et le Geps (Groupement d’Etudes et de Prévention du Suicide) ont utilisé nos travaux pour organiser un concours de scénarios sur les discriminations.

- Six « espaces de parole » créés en France

- L’état des lieux a été réalisé la première année sur un échantillon aléatoire d’une soixantaine d’acteurs de terrain (enquête par courriel). Leur constat est alarmant : tous les indicateurs de mal-être et de prise de risque létal sont réunis concernant les jeunes victimes d’homophobie, y compris pour ceux qui s’identifient comme hétérosexuels. Mais c’est l’accumulation des causes de rejet social potentiel - origine sociale modeste, issus de l’immigration, jeunes adolescents... - qui majore les risques de passage à l’acte. Ces éducateurs ou intervenants associatifs et sociaux sont par ailleurs très isolés et souvent concernés eux-mêmes par l’homo-bi-trans/sexualité, ce qui accentue leur difficulté à combattre l’ostracisme dont ces jeunes sont victimes. Leur diagnostic est unanime : nos institutions sont majoritairement baignées d’une homophobie passive institutionnalisée, reléguant les personnes concernées au silence et à l’invisibilité.

- Cette première année a également permis de mettre en place six espaces de parole sur le territoire français, en voie de pérennisation lors de la troisième année (3). Le cahier des charges insistait sur un binôme mixte de coanimateurs (le chargé de mission et une assistante sociale scolaire, ou une infirmière, une éducatrice, une animatrice,...) appartenant à deux structures différentes, l’espace de parole étant accueilli par un troisième partenaire « généraliste » (type mission locale, Crij, centre social, point écoute jeunes,...) afin de contourner la peur de la stigmatisation. L’approche utilisée a croisé l’écoute active de Carl Rogers, et une démarche communautaire positionnant le jeune comme acteur et décideur, rendant le dispositif accessible à tout acteur de terrain et non seulement à ceux qui ont bénéficié d’une formation « psy ». Chaque réunion mensuelle a donné lieu à un compte-rendu intégral des échanges - restitué aux jeunes après correction - et sur l’un des sites à une traduction en Langue des signes, de façon à intégrer des personnes sourdes. Le fait d’être centré sur les discriminations vécues ou craintes a permis d’orienter des jeunes qui étaient plus en prise à une intériorisation d’une forme de discrimination qu’à une confrontation directe à ces phénomènes. Une centaine de jeunes se sont « approchés » d’un espace de parole, une cinquantaine les ont fréquenté régulièrement. Au départ ce sont les partenaires (tel conseiller en insertion, telle animatrice de centre social,...) les plus impliqués qui ont majoritairement orienté les jeunes vers ces espaces de parole, ensuite ce sont les participants eux-mêmes qui sont devenus les premiers recruteurs.

- 50 professionnels formés

- La formation-action s’est déroulée sur quatre modules de cinq jours, lors de la seconde et de la troisième année. Une cinquantaine de professionnels - des champs éducatif, sanitaire et social (médecin de CDAG, assistante sociale de secteur, infirmière PJJ, psychiatre auprès de jeunes suicidants,...) - et de bénévoles associatifs de différentes régions de France y ont participé, avec une majorité de Franciliens et de Marseillais. Le premier module a tenté de répondre à trois questions : De quelles discriminations parlons-nous ? De quel(s) jeunes (garçons ou filles) s’agit-il ? De quels outils disposons-nous pour aborder collectivement ces sujets auprès d’eux ? Dans le second module ont été abordés les facteurs de vulnérabilité et les conduites à risque létal, avec un accent plus particulier sur la prévention du suicide et des équivalents suicidaires - notamment via des addictions ou des prises de risque sexuel. Lors du troisième module ont été travaillés les facteurs de protection et les outils permettant de mobiliser ces facteurs, avec une attention spécifique à la résilience et à l’estime de soi. Le quatrième, enfin, a été conçu comme un module de synthèse, inaugurant une formation pilote sur ces sujets, à partir du « triangle de l’abus » - situant le bouc émissaire face à un pôle pervers, chronicisant un rôle d’abuseur, et un pôle normopathe, celui qui est malade de la norme (4) - afin de relier et de structurer les discriminations qui isolent aux facteurs de vulnérabilité et de protection. Parallèlement, des échanges entre la cinquantaine de participants de la formation-action et les jeunes des espaces de parole ont permis à ces derniers de préconiser ce qui devait prioritairement être travaillé dans chaque module.

- Déni du corps social

- Quels sont les principaux résultats de cette recherche-action ? Tout d’abord nous avons été frappés par l’équivalence symbolique entre les phénomènes de discrimination sur le plan sociologique - dont l’épicentre est constitué des processus de boucs émissaires - et la thématique du suicide sur le plan psychologique (5). Parallèlement, le très fort déni dans le corps social quant à la fréquence et la gravité de ces phénomènes fait écho à un grand besoin de formation des acteurs de terrain sur les processus de transformation d’un certain nombre de personnes en « bouc émissaires », les discriminations liées au genre, la violence et le suicide.

- En effet, les difficultés identitaires - et les discriminations - liées au genre sont omniprésentes et les jeunes avec une préférence homo-bi/sexuelle ou une identité transsexuelle sont surreprésentés - environ la moitié des jeunes. Ils cumulent tous plusieurs « différences », sources potentielles de rejet social, souvent l’une évidente et l’autre plus intime - visible et invisible - et ressenties comme incompatibles. L’espace de parole apparaît alors comme une « tribu » acceptable pour ceux et celles qui n’ont pas trouvé la leur, permettant à la fois identification aux pairs et différenciation. Une typologie de « boucs-émissaires » fait donc émerger des cumulards, des camouflés - qui se protègent derrière une autre cause de rejet social et viennent en témoigner - et des débusqués - ils pensent que l’ostracisme dont ils sont victimes vise précisément leur différence cachée - mais aussi des entre-deux, des tiraillés - entre deux identités antinomiques - des frontaliers - qui brouillent les cartes en inventant une troisième voie - des passeurs de frontière - qui franchissent l’infranchissable - des Bountys - terme qui vient de la communauté noire vivant en France et désignant ceux qui sont noirs dehors et blancs dedans, autrement dit dominés socialement dehors mais dominants dedans - et des Tybouns - dominants dehors et dominés dedans...

- Valeurs féminines et paternelles rabotées

- Les stéréotypes qui désignent les personnes qui ont un regard discriminant font souvent écho à la virilité et à la « matrilité » - pendant de la virilité pour la construction identitaire féminine, et sacralisant les valeurs de la maternité - les systèmes de domination à l’œuvre pouvant s’apparenter à la « matrivirilité » - les camouflés l’utilisent : plus un garçon est susceptible d’être discriminé, plus il affiche les valeurs de la virilité, alors qu’une fille qui craint d’être débusquée va se réfugier du côté de la matrilité - mais on trouve aussi des filles viriles et des garçons matrils. A l’inverse, la dévalorisation conjointe des valeurs féminines et paternelles jalonnent les parcours de vie de ces jeunes - et plus particulièrement des débusqués. C’est de ce côté que l’on trouve la plupart des facteurs de vulnérabilité. Les facteurs de protection résonnent souvent avec ceux associés à l’estime de soi et à la résilience : l’espace de parole - associant d’autres médias, comme l’expression artistique, pour les plus vulnérables - les fait naturellement émerger. Ils découvrent que chacun peut être accepté dans sa différence, et non seulement toléré - ce groupe-là est communautaire là où ils ont rencontré du communautarisme. Les comptes-rendus, les articles et ouvrages, et les témoignages dans les médias ont joué un rôle significatif de dénonciation des discriminations et de restauration de l’estime de soi. Enfin, face au binôme discriminant/discriminé, le troisième intervenant de ce triangle est le « normopathe » (celui qui n’a rien vu, rien senti, rien entendu) car il est l’acteur de la transformation de la honte en humiliation ; c’est donc logiquement auprès de lui que le jeune victime de discrimination exigera réparation de la blessure. Ainsi, du côté des acteurs de terrain, agir sur la normopathie (littéralement « pathologie de la norme ») de leurs institutions apparaît comme l’objectif le plus fédérateur et le plus pertinent pour tenir compte de ce que les jeunes leur adressent comme message.

- Dans l’objectif de transférer toutes ces compétences, mais aussi de poursuivre ce travail de recherche en élargissant le public à toutes les tranches d’âge, nous nous proposons de décliner cette initiative à raison d’une expérience au moins par région de France au fil des quatre ans à venir. Le porteur du projet sera la Ligue Française pour la Santé Mentale (LFSM), et nous étions en novembre 2006 en attente de réponse de partenaires nationaux - DGS, PJJ, Halde,... - et locaux - régions, CG, Drass via le plan Violence et Santé - pour décider des premières régions concernées. Il s’agira de proposer une formation-action sur ces phénomènes à destination d’acteurs de terrain qui s’engagent à mettre en place une action ou à valoriser une initiative existante en y intégrant la problématique des « boucs émissaires ». Puis un accompagnement méthodologique et la mise en place par leurs soins d’au moins un espace de parole leur permettra de constituer un pôle ressource, en lien avec les Commissions pour la Promotion de l’Egalité des Chances et de la citoyenneté (Copec), siégeant en Préfecture, et les Drass notamment.

- Eric Verdier, Psychologue et psychothérapeute , chercheur et chargé de mission, formateur,

- Verdier Eric, Firdion Jean-Marie 2003, Homosexualités et suicide, H&O.
- Verdier Eric, Dorais Michel 2005, Petit manuel de Gayrilla à l’usage des jeunes, H&O.


- Notes
- (1) Les autres financeurs au fil des trois ans ont été les conseils généraux 93 et 54, les Ddass 27, 44, 69 et 72, la Drass et la Cram d’Ile-de-France, le Fasild Ile-de-France, les mairies de Paris, de Nancy et des Lilas, et enfin le conseil régional d’Ile-de-France.
- (2) Les estimations françaises les plus récentes indiquent qu’entre un quart et la moitié des suicides des adolescents et jeunes hommes seraient associés à une l’homo-bi-trans/sexualité, contre environ 10 % pour les filles (croisement de plusieurs enquêtes dont celle de Philippe Adam de l’INVS, et celle de Marc Shelly validée par l’INSERM)
- (3) Arras, Cherbourg, Evreux, Le Mans, Nancy et Paris.
- (4) Illustré par la fameuse phrase d’Albert Einstein : « le monde ne va pas mal à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire »
- (5) Le thème du suicide est omniprésent dans les récits de vie des jeunes boucs émissaires, puis au second plan apparaissent les addictions et les mises en danger de soi dans la sexualité... P.-S.

HomoEdu 2000-2007 ; Tous droits réservés

P.-S.

Document issu de HomoEdu 2000-2007 ; Tous droits réservés

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0