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Un crime très obscur au siècle des Lumières

Pratique de classe de Lionel Labosse : Montesquieu , « Du crime contre nature »

Séquence pédagogique niveau seconde

jeudi 22 septembre 2005, par philzard

Où l’on voit que le défenseur des esclaves est moins virulent pour défendre les sodomites, à propos desquels il partage les préjugés de son siècle. Cependant, qui d’autre parmi ses contemporains, a osé se prononcer contre la condamnation du « crime contre nature » ?

- Le groupement de texte portait sur l’objet d’étude « L’argumentation en classe de seconde : démontrer, convaincre et persuader ». Parmi les deux questions au programme, la question « littérature et altérité » permet d’évoquer l’homophobie. Permet, mais du bout des lèvres, parce que les « accompagnements de programmes », parmi les nombreux textes qu’ils proposent, oublient cette question, qui, bien évidemment, n’intéresse pas du tout nos élèves. Qui donc, au sein de notre ministère bien aimé, pourrait penser que « être autre » au XXIe siècle pourrait concerner un autre sujet que l’antisémitisme ou le racisme ?

- Le manuel Hatier pour les secondes est dans cette lignée, mais j’y ai puisé trois textes :

Montaigne, Essais, I, 31 « Des Cannibales »

Montesquieu, L’Esprit des lois, Livre XV, Chapitre V, « De l’esclavage des nègres »

Albert Memmi, Ce que je crois, 1985.

Ce dernier texte propose une réflexion fort intéressante sur ce que l’auteur nomme « hétérophobie », ou « peur agressive d’autrui ».

J’y ai ajouté un extrait de Le transfo, de Sylvie Deshors (p. 38/39), qui pose la question du rejet des handicapés, autre thème oublié par les programmes. Nous avions aussi étudié Frankenstein de Mary Shelley, et le film S 21 de Rithy Panh dans le cadre de « Lycéens au cinéma ».

- Voici enfin ce texte, qui m’a permis d’introduire une intervention du MAG, laquelle s’avérait nécessaire, vu les préjugés qui se sont exprimés dans cette classe de seconde de niveau faible. Je ne donne aucun commentaire, ni les réponses attendues. La première question a été difficile à traiter et a donné lieu à des contresens, fort intéressants à exploiter...

- Texte :

Montesquieu, L’Esprit des lois (1748), Livre XII, Chapitre VI

DU CRIME CONTRE NATURE

À Dieu ne plaise que je veuille diminuer l’horreur que l’on a pour un crime que la religion, la morale et la politique condamnent tour à tour. Il faudrait le proscrire quand il ne ferait que donner à un sexe les faiblesses de l’autre, et préparer à une vieillesse infâme par une jeunesse honteuse. Ce que j’en dirai lui laissera toutes ses flétrissures, et ne portera que contre la tyrannie qui peut abuser de l’horreur même que l’on en doit avoir.

Comme la nature de ce crime est d’être caché, il est souvent arrivé que des législateurs l’ont puni sur la déposition d’un enfant. C’était ouvrir une porte bien large à la calomnie. « Justinien, dit Procope, publia une loi contre ce crime ; il fit rechercher ceux qui en étaient coupables, non seulement depuis la loi, mais avant. La déposition d’un témoin, quelquefois d’un enfant, quelquefois d’un esclave, suffisait, surtout contre les riches et contre ceux qui étaient de la faction des verds. »

Il est singulier que, parmi nous, trois crimes : la magie, l’hérésie et le crime contre nature, dont on pourrait prouver, du premier, qu’il n’existe pas ; du second, qu’il est susceptible d’une infinité de distinctions, interprétations, limitations ; du troisième, qu’il est très souvent obscur, aient été tous trois punis de la peine du feu.

Je dirai bien que le crime contre nature ne fera jamais dans une société de grands progrès, si le peuple ne s’y trouve porté d’ailleurs par quelque coutume, comme chez les Grecs, où les jeunes gens faisaient tous leurs exercices nus ; comme chez nous, où l’éducation domestique est hors d’usage ; comme chez les Asiatiques, où des particuliers ont un grand nombre de femmes qu’ils méprisent, tandis que les autres n’en peuvent avoir. Que l’on ne prépare point ce crime, qu’on le proscrive par une police exacte, comme toutes les violations des mœurs, et l’on verra soudain la nature, ou défendre ses droits, ou les reprendre. Douce, aimable, charmante, elle a répandu les plaisirs d’une main libérale ; et, en nous comblant de délices, elle nous prépare, par des enfants qui nous font, pour ainsi dire, renaître, à des satisfactions plus grandes que ces délices mêmes.

- Questionnaire :

- Que désigne l’expression « Crime contre nature » ? Quelles expressions permettent de le comprendre ?
- D’après le texte, quelle était, à l’époque de la rédaction de ce texte, la punition possible de ce « crime contre nature » ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
- Rapprocher l’expression « la nature de ce crime » (au début du paragraphe 2) du titre. Qu’en concluez-vous ?
- Montrez que sur ce sujet, Montesquieu est imprégné de certains préjugés de son siècle.
- Montrez que, pourtant, Montesquieu veut faire évoluer la législation, comme il l’a fait sur la question de l’esclavage. Quels arguments utilise-t-il ?
- Conclusion : Comment peut-on juger en 2006 la position d’un écrivain du 18e siècle tel que Montesquieu, sur ce sujet ?

Lionel Labosse.

P.-S.

Texte issu du site HomoEdu, 2000-2011

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