EDU RESPECT.fr.ht

Jeune gay en l’an 2000

dimanche 9 janvier 2005, par philzard

Ils sont nés au début des années 80. Ils ont aujourd’hui entre 17 et 20 ans, et viennent de prendre conscience de leur homosexualité. Comment, en l’an 2000. vit-on une telle découverte ? Si l’acceptation de son homosexualité passe avant tout par soi-même, elle dépend aussi du regard que la société jette sur les homosexuels. Bien sûr, les choses ont changé, mais tout n’est pas encore tout rosé.Témoignages de jeunes gays. qui en province, font leurs premiers pas...

Marginal en raison de sa différence, de sa préférence sexuelle, l’homosexuel n’en est pas moins membre à part entière de la société. Et son degré de marginalité dépend justement de l’acceptation de sa différence par la société. Libre à chacun, au prix d’un combat quotidien, d’ignorer les critiques, de contrer les discriminations, d’affronter l’homophobie ambiante...

Mais pour le jeune garçon âgé de 17 à 20 ans qui se découvre homosexuel, la tolérance ou au contraire le rejet exprimé par la société vis-à-vis de l’homosexualité en général, et de son homosexualité en particulier, pèse de façon non négligeable dans sa capacité à s’accepter tel qu’il est, dès ses premiers pas en tant que gay. D’où l’intérêt de rencontrer quelques jeunes, résidant en province, pour évoquer ce sujet : comment la société accueille-t-elle aujourd’hui un jeune gay de 17 à 20 ans qui tente de s’accepter ?

Si le temps où il fallait raser les murs pour plus de sécurité a laissé la place à une époque où l’on sort du placard, on doit toutefois apporter une nuance à cette affirmation, en constatant encore ici ou là, des manifestations d’homophobie, des pratiques discriminatoires... Ouverture et reconnaissance ou intolérance et rejet, la population est divisée entre ceux qui acceptent et ceux qui désaprouvent...

Indéniablement, la société a changé sa vision de l’homosexualité. Les aînés le disent, et il suffit d’ouvrir les yeux, de regarder autour de soi, dans la rue, pour constater que le tableau est radicalement différent d’il y a quelques années. Et tant mieux ! Aujourd’hui, l’homosexualité s’affirme, s’affiche, elle est même une fierté pour certains. La Gay Pride, au-delà de son aspect communautaire, est presque devenue une fête nationale où les gays et les gay-friendly affichent ouvertement leur désir de changement. Sortie du placard version grand public, la Gay Pride est un acte de visibilité.

Ce qui réjouit Xavier, 20 ans, étudiant en Arts Plastiques à Metz : "Plus il y aura de gens qui sortiront du placard, plus la société évoluera". Les médias et les différentes formes d’expression culturelles contribuent aussi à cet élan : il n’existe plus un film sans son pédé de service ; on chante sa tolérance en faisant l’éloge des gays ; les célébrités font leur come out, bref, l’homosexualité nous est servie à toutes les sauces. Les médias influent fortement sur la personnalité des jeunes homos, en leur permettant de s’identifier à un modèle qui leur convient plus que le modèle proposé par la famille ou les amis. Pour Xavier, "les célébrités ont une valeur d’exemple, et c’est certainement ce qui aide un jeune gay".

La reconnaissance des gays et de l’homosexualité n’est pas seulement sociale ou culturelle, elle est aussi politique ; en effet, aussi périlleuse fut-elle, aussi imparfaite reste-t-elle, l’adoption de la loi sur le PaCS est un pas important pour la reconnaissance des homosexuels et des couples homosexuels. Au niveau même de l’Etat, les choses évoluent. Pour Julien, 17 ans, lycéen à Creutzwald, "c’était dégradant de savoir qu’on n’était pas reconnu officiellement comme un couple". On peut enfin parler de groupe social à part entière, même si des inégalités subsistent par rapport aux hétéros.

Les évolutions culturelles, sociales et politiques ont elles-mêmes engendré des transformations dans des domaines plus privés, facilitant là aussi l’acceptation de son homosexualité. La famille par exemple : bien souvent, les rapports avec ses proches sont plus simples, beaucoup moins conflictuels. Xavier raconte : "Avant que j’avoue tout à ma famille, l’homosexualité était mal perçue par les miens. Maintenant ils se sentent concernés et voient ça différemment".

Malgré les tensions et les doutes, les parents d’un jeune homosexuel acceptent plus facilement sa différence dans la mesure où ils ont compris qu’il ne s’agissait ni d’une maladie, ni d’une punition divine, mais simplement d’une préférence. Conscient du constat accru de tolérance, on s’attache moins au "qu’en dira-t-on ?" Quant aux amis, ils sont généralement très réceptifs et s’intéressent moins aux préférences sexuelles de leur camarade qu’à ses qualités humaines. Si l’homosexuel est une composante parmi tant d’autres de la société, le jeune gay se sent appartenir à une famille assimilée, tolérée. D’après Guillaume, 18 ans, lycéen à Creutzwald, "la diversité religieuse, politique et culturelle permet de s’affirmer plus facilement ; on a l’impression d’être l’ingrédient indispensable d’une bonne salade de fruits !" Pour le jeune homo qui s’ouvre au monde et se découvre différent, tous ces éléments réunis sont un apport essentiel dans son processus d’acceptation : les parents, les amis, la famille, les médias, les homos qui ne se cachent plus... tous lui apportent un soutien dont il a vraiment besoin, et la prise de conscience se fait plus facile.

Malgré tout, on ne peut pas dresser un tableau tout rose. "Dans les villes de l’an 2000, la vie sera bien plus facile..." ; on l’aura longtemps espéré, mais il reste des problèmes : discriminations, injures, violences, relations conflictuelles avec la famille, et l’acceptation de soi n’est pas toujours évidente

Dans notre société, "dite civilisée", on voit encore trop souvent des personnes exprimer leur animalité par la violence. Qu’elle soit physique ou verbale, elle est toujours incompréhensible. Se sachant devenir une victime potentielle en découvrant son homosexualité, combien déjeunes garçons se sentent envahis par un sentiment de honte et de culpabilité, mêlé à la colère et au désespoir.

Xavier pense que "les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. S’ils s’intéressaient à nous, ils verraient que nous ne sommes pas des extra terrestres !" Considérer la sexualité comme un critère de jugement paraît insensé, et pourtant...

Pour Julien, "la société assimile encore trop souvent les pédés aux personnages de "La Cage aux Folles", et c’est pourquoi ils voient une si grande différence". Lors des débats sur le PaCS, on a pu prendre la mesure de l’homo-phobie latente, y compris chez nos élus.

Jérôme, 18 ans, coordinateur théâtral à Sarreguemines ne comprend pas cette hostilité : "L’amour ne devrait pas être jugé, mais simplement accepté, comme quelque chose d’évident".

Seul intérêt des manifestations d’homophobie pendant les débats sur le PaCS, on parle maintenant de sa pénalisation. Voilà qui promet encore quelques débats houleux ponctués de dérapages verbaux... ! Mais loin des manifestations publiques d’homophobie, on ne peut pas évoquer des situations encore plus douloureuses, plus proches de sa vie quotidienne : quand les parents, les amis, la famille rejettent ou laissent seul leur enfant face à quelque chose de nouveau au moment où il a le plus besoin d’eux.

Par peur de l’inconnu, à cause de l’intolérance et de convictions douteuses, il est possible de gâcher la vie d’un jeune homo. La situation est telle qu’on ne peut s’empêcher de faire le lien entre jeunes homosexuels et cas de suicides. Pour Jérôme, "cet "infanticide" s’explique : "Parents et enfants ne vivent pas dans la même époque ; les parents envisagent pour leur enfant une image de famille stéréotypée". Julien raconte : " J’ai très peur d’en parler à mes parents, parce que je sais qu’ils n’accepteront pas. J’entends souvent ma mère tenir des propos homophobes, et ça me fait très mal. C’est d’autant plus difficile que j’ai une relation très complice avec elle, et que j’ai peur de la perdre". Quand la société affiche son opposition et que la famille ne joue plus son rôle, quand sa sexualité engendre tant de malheurs et qu’elle est source d’exclusion, il devient bien difficile de s’accepter. Certains préféreront la nier, peut-être tout au long de leur vie, d’autres la porteront comme un fardeau. Julien pense que "ce doit être beaucoup plus facile de s’accepter et de s’assumer dans une grande ville, mais à l’inverse, c’est loin d’être évident quand on n’a pas de point de rassemblement avec d’autres homos. On se sent très seul". Au-delà du regard des autres, c’est donc aussi la solitude qui fait mal. Il ajoute : "On nous rend responsables du sida que l’on a longtemps appelé "la maladie des pédés". Certains pensent encore qu’il s’agit d’un châtiment divin. C’est difficile d’entendre les gens dire qu’on peut être responsables de telles tragédies". Pour Julien et pour beaucoup d’autres, "l’enfer c’est les autres" comme disait Jean-Paul Sartre.

La société n’a donc pas tant changé, en tout cas, pas suffisamment. L’an 2000 s’annonce donc magnifiquement ouvert aux homos, mais il reste tristement imparfait. Les évolutions, aussi lentes soient-elles, se font de plus en plus concrètes et les jeunes acceptent de mieux en mieux leur homosexualité. On ne peut donc qu’espérer un avenir meilleur, où, comme le dit Xavier, "les gens se rendraient compte que les homos ne sont différents des hétéros, que par leur attirance sexuelle". On en reparle dans vingt ans ? »

Par Jérôme Muller. IDOL Magazine, 2000.

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0