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Questions de discriminations, grandes absentes de la formation des enseignants

Questions de discriminations, Françoise Lorcerie

lundi 9 mars 2009, par philzard

Françoise Lorcerie, de l’université d’Aix en Provence, chargée de recherche CNRS, vient de diriger "La politisation du voile, en France, en Europe et dans le monde arabe", aux éditions L’Harmattan, 2005.

Que sont le racisme et la discrimination ?

Le racisme est une idéologie dans laquelle on dénigre des individus sur la base de critères physiques, en construisant son groupe comme catégorie supérieure. La discrimination, elle, n’est pas une idéologie mais un système de comportements qui consiste à traiter autrui inégalement. Elle peut s’accompagner de discours raciste mais pas forcément. Elle s’exerce dans tous les champs sociaux, à l’école entre autres, parfois inconsciemment. Enfin, on appelle ségrégation la mise à distance d’autrui, résultant notamment de la tendance des catégories favorisées à fuir les plus défavorisées. La ségrégation polarise le tissu urbain, avec des effets sur l’identité des territoires et sur les représentations qu’on a de leurs habitants et qu’ils ont d’eux-mêmes.

La catégorisation ethnique des individus a à voir avec le pouvoir...

Oui. Si, pour le sens commun, l’origine ethnique est transmise par le sang, la sociologie des relations ethniques montre que c’est en fait une question de classement social. Les catégories ethniques s’appuient sur des indices physiques ou culturels en leur donnant une énorme importance, et en y réduisant l’identité d’autrui. Dans les Etats-nations, ce sont les maîtres du pouvoir et du territoire qui maîtrisent ces catégories, c’est-à-dire finalement les citoyens « normaux » aussi bien que les dirigeants. Ils tendent à mettre à distance et à traiter en catégorie à problème, en catégorie congénitalement à part, ceux qui sont arrivés plus récemment sur le territoire.

Pourquoi en France la reconnaissance des discriminations est-elle si récente ?

Dans la belle histoire de la République, la France est un pays égalitaire et non raciste. Or, dans les faits, l’origine géographique fait beaucoup de différence. Aujourd’hui, le fait d’être d’origine maghrébine ou d’un pays ex-colonisé a une incidence sociale lourde et qui passe d’une génération à l’autre. C’est le fruit de l’histoire coloniale mal digérée comme celui du blindage actuel de l’Europe face aux pays du sud avec lesquels elle entretient des rapports inégaux. Le racisme et les discriminations, bien réels, sont nourris par un fantasme de danger national et ils contribuent à l’entretenir ! C’est seulement en 1998 que le gouvernement a admis en France des discriminations raciales ou ethniques, et a renforcé la législation pour les combattre dans l’emploi, le logement et les loisirs. Ces domaines relèvent du secteur privé, l’Etat s’est gardé de braquer le projecteur sur lui. Et pourtant. Des études ont été menées dans la police, dans l’armée, dans l’école ; elles sont restées marginales et pour une bonne part sans suite. La question n’est toujours pas -presque pas - abordée dans les formations professionnelles de ces secteurs, en particulier dans l’éducation. Cela supposerait de dépasser la culpabilité pour prendre conscience des processus ethniques et de recourir aux sciences sociales pour les décortiquer.

Que peut faire l’école ?

Il faut définir l’école comme un espace juste où l’appartenance ethnique ne doit pas avoir d’effet non voulu, ni sur la répartition des classes, ce qui est souvent le cas au collège sous des pressions diverses, ni sur les attentes vis-à-vis des élèves, ce qui arrive au primaire. Sur ce point, l’école peut beaucoup et elle fait déjà beaucoup quand elle est vigilante. Maintenant, faut-il une éducation spécifique au non racisme ? Un fonctionnement scolaire réfléchi en fonction de cela n’en aurait peut-être pas besoin. Mais avec la course au programme, c’est sûrement utile, d’autant que les programmes d’éducation civique ne font qu’une référence timide et formelle au racisme. De surcroît, aucune directive de l’Éducation Nationale ne traite de l’indispensable mixité ethnique des classes et de l’égalité des élèves dans un contexte de renvoi à l’origine. La seule initiative institutionnelle en la matière, c’est encore la loi interdisant le port ostensible des signes religieux... qui s’analyse sociologiquement comme un nouveau message de défiance et une obligation supplémentaire de conformité imposée aux minoritaires. Beaucoup repose donc sur les enseignants. J’aimerais leur dire : laissons la belle histoire, - l’histoire républicaine d’aujourd’hui reste à écrire, elle est devant nous.

Voir en ligne : Pour en savoir plus, article complet de la revue Fenêtres sur cours

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